22/09/2020

Jean-François Glinec : la biodiversité pour passion

Reportage : Jean-Yves Dagnet


C’était en 2009, dans le Finistère. Installés en production laitière sur une ferme conventionnelle, les frères Glinec, Jean François et Olivier, étaient passionnés par la faune et la flore de leur exploitation. Nous les avions filmés pour un reportage sur l’agriculture et l’environnement. « Il met un nom à chaque plante qu’il voit », disait Olivier en parlant de Jean-François. « Le spécialiste » c’était lui. Il nous a reçus en août 2020, dix ans plus tard.


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Jean-François  est toujours aussi passionné. Pour s’en rendre compte, il suffit de l’accompagner dans les chemins qui conduisent à la prairie où il rend visite à son troupeau de vaches laitières. Première rencontre, un jeune chevreuil : « Je le croise souvent, il me connait bien », dit-il d’un œil malicieux. Il poursuit en commentant tout ce qu’il voit, les haies autour de ses champs et de chaque côté du chemin creux.

​Prendre le temps d’observer

Le chemin est entretenu et les haies préservées : elles sont indispensables pour les oiseaux, régulent l’eau et maintiennent l’humidité en période de canicule, évitent l’érosion des sols et procurent de l ’ombre aux vaches. « Et puis, un beau paysage c’est mieux pour travailler ». Jean-François s’intéresse à la haie mais aussi à tout ce qui pousse dessus ou à côté. Il en parle comme un botaniste qu’il est devenu au fil des ans, capable de citer toutes les caractéristiques d’une plante, son intérêt pour le milieu naturel et son rôle dans l’équilibre de la biodiversité.

Il le fait à la fois avec humour comme lorsqu’il parlait dans le film de ce petit bosquet maintenu au milieu d’une pâture pour « protéger la terrasse ensoleillée du lapin qui s’y réfugie ». Il le fait aussi avec sérieux puisqu’il est l’un des seuls agriculteurs référent biodiversité du Conservatoire botanique national de Brest.
« Nous avons environ 2 400 espèces végétales qui vivent dans le grand Ouest et un peu plus de 1 600 pour le Finistère. Personnellement, j’ai inventorié un peu plus de 1 000 espèces sur notre exploitation et envoyé 40 000 données au conservatoire. »

Éleveur laitier et botaniste autodidacte

Jean-François n’a pas fait d’études agricoles, il a une formation d’électricien à la base. Il n’a pas fait d’études de botaniste non plus :
« J’ai toujours été intéressé par la nature et l’appliquer dans une ferme c’est rigolo ; trop peu de gens dans le monde agricole s’intéressent à la nature et on a trop peu de contact avec les naturalistes ».
Ainsi, lorsque les voisins voient un rumex, lui voit deux ou trois variétés de plantes différentes. Lorsqu’ils se plaignent qu’il y a trop de choucas, il leur répond : « c’est parce qu’il y a trop de maïs ». Sa formation, il l’a surtout acquise grâce à la rencontre, il y a une vingtaine d’années, avec une botaniste, Sylvie Magnanon. Elle faisait une thèse en écologie sur la prairie. Travailler avec elle lui a non seulement permis de mieux connaître la valeur environnementale de ses prairies mais aussi d’acquérir des connaissances scientifiques telles qu’il est aujourd’hui considéré comme un spécialiste de la flore :
« J’aime ça, j’aime l’ambiance du conservatoire ; petit, j’étais fasciné par les chercheurs, les explorateurs, les savants ».

​Produire moins et gagner plus

« Notre système est basé sur l’observation et sur le travail manuel, pas sur la rationalisation industrielle. Dans notre boulot, il y a toujours un quart de notre temps qui sert à l’environnement social, la CUMA (Coopérative de Matériel Agricole en Commun) et à l’écologie, c’est une philosophie, on est des paysans ».
En écoutant Jean-François, il apparait évident que son frère et lui sont installés sur une ferme biologique. Oui ! Depuis…2019.
« Tout le monde pensait que nous étions en bio depuis longtemps mais ça fait à peine un an. Le pas n’a pas été difficile, on aurait pu passer plus tôt mais on a mis le temps car on se disait qu’il fallait que ça marche aussi en système conventionnel et nous avions peu de fréquentation en bio. » 
Ils sont donc passés de 500 000 litres de quotas annuels (une référence aujourd’hui modeste pour deux personnes) à 300 000.
« On a diminué le nombre de vaches à l’hectare et supprimé tous les engrais qui sont responsables à 20% du réchauffement climatique. »
Leur revenu s’en est ressenti :
« Avant, avec les emprunts à rembourser et les achats intermédiaires, on gagnait à peine 1 500 euros par mois ; aujourd’hui c’est 2 500 euros… chacun. »

Une autre manière de conduire l’exploitation

Mais le revenu n’est pas tout :
« On fait les choses plus intelligemment et on est en accord avec la société et les voisins qu’on ne cherche pas à bouffer. »
Leur choix de système joue sur la manière de conduire leur exploitation. Aujourd’hui ils sont en tout herbe (100 % de prairies permanentes dont certaines en zone humide). En juin, les prairies sont fauchées pour récolter un foin dont ils connaissent parfaitement la composition et la richesse nutritive.
« Un foin parfumé car riche de la diversité des plantes que nous avons laissé pousser. »
Chez eux, rien ne se perd. Ils fauchent aussi les prairies humides des voisins. Cela leur fait du foin supplémentaire pour l’hiver, les vaches en tirent le meilleur et le reste sert pour la litière :
« Les vaches sont contentes, le syndicat de bassin versant aussi… et les voisins. »
Cette alimentation naturelle et riche leur permet de produire un lait de qualité dont ils ont décidé de valoriser une partie sur place  en produisant du fromage. 
« Ici, il manque une petite fruitière pour les bio, c’est pourquoi on a monté une fromagerie sur l’exploitation, elle nous a permis de créer un emploi. »

Une philosophie

La passion de Jean-François pour les plantes, pour la faune et surtout la flore présente sur l’exploitation a poussé les deux frères à aller voir ailleurs pour apprendre et partager.
« Le monde agricole s’isole, il n’y a plus de dialogue entre le paysan et la société. Ce qui nous choque, c’est la séparation des milieux ; il n’y a par exemple aucun contact entre la chambre d’agriculture et Ifremer alors que chez nous, les naturalistes ont remplacé les conseillers agricoles ».
Cette cohérence l'a conduit tout naturellement à adhérer à l’association Eau et Rivières de Bretagne... la bête noire de beaucoup d’agriculteurs.
 
Jean-Yves Dagnet

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